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<title>Preface [Judith, tragedie]</title>
<author key="Boyer, Claude (1618-1698)"
ref="https://data.bnf.fr/fr/12190271/claude_boyer/">Claude Boyer</author>
<editor key="Lecercle, Doranne">Doranne Lecercle</editor>
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<edition>OBVIL</edition>
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<publisher>Sorbonne Université, LABEX OBVIL</publisher>
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<licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/"><p>Copyright © 2019 Sorbonne Université, agissant pour le Laboratoire d’Excellence «
Observatoire de la vie littéraire » (ci-après dénommé OBVIL).</p>
<p>Cette ressource électronique protégée par le code de la propriété intellectuelle
sur les bases de données (L341-1) est mise à disposition de la communauté
scientifique internationale par l’OBVIL, selon les termes de la licence Creative
Commons : « Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification
3.0 France (CCBY-NC-ND 3.0 FR) ».</p>
<p>Attribution : afin de référencer la source, toute utilisation ou publication
dérivée de cette ressource électroniques comportera le nom de l’OBVIL et surtout
l’adresse Internet de la ressource.</p>
<p>Pas d’Utilisation Commerciale : dans l’intérêt de la communauté scientifique,
toute utilisation commerciale est interdite.</p>
<p>Pas de Modification : l’OBVIL s’engage à améliorer et à corriger cette ressource
électronique, notamment en intégrant toutes les contributions extérieures, la
diffusion de versions modifiées de cette ressource n’est pas souhaitable.</p></licence>
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<bibl>Claude Boyer, « Preface », in <hi rend="i">Judith, tragedie. Par Mr Boyer de
l’Académie françoise</hi>, <pubPlace>Paris</pubPlace>, <publisher>Michel
Brunet</publisher>, <date>1695</date>, n.p. PDF : <ref
target="https://books.google.fr/books?id=76E5AAAAcAAJ">Google</ref>.</bibl>
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<div1 type="frontispiece">
<head rend="sc">[frontispice]</head>
<p rend="center">JUDITH,<lb/> TRAGEDIE.<lb/> <hi rend="i">Par M<hi rend="sup">r</hi> <hi rend="sc">Boyer</hi> de
l’Académie<lb/> françoise</hi><lb/><lb/>A PARIS<lb/>Chez <hi rend="sc">Michel Brunet,</hi> à l'entrée de la Grande<lb/>Salle du Palais, au Mercure Galant<lb/>M. DC. XCV.<lb/>Avec Privilege du Roy.</p>
</div1>
<div1 type="preface">
<pb n="n.p."/>
<head>Préface</head>
<p><hi rend="big">C</hi>’EST une erreur qui a infecté beaucoup d’esprits, qu’il
était presque impossible d’accommoder heureusement au Théâtre les Sujets qui
sont tirés de l’Ecriture Sainte, et de l’Histoire Chrétienne. Indigné contre
une opinion si fausse et si pernicieuse, je crus d’abord qu’elle n’était
fondée que sur la prévention qui n’examine rien, et dont la force impérieuse
entraîne ordinairement la multitude ; mais après avoir creusé jusques dans la
source de cette erreur, je vis qu’elle venait de l’ignorance de l’art, de la
faiblesse du genie, de la stérilité des inventions, et surtout du peu de
goût et de sensibilité qu’on a pour les choses de la Religion.</p>
<p>J’avoue qu’il est mal aisé d’assembler tout ce qui est nécessaire à la
composition de cette sorte d’ouvrages, d’autant plus <pb n="n.p."/>qu’il y a peu
de modèles dans ce genre d’écrire, et peu d’Auteurs qui soient d’humeur de
les imiter. La plupart ne font que suivre et marcher après les autres ;
privés du secours des bons exemples, ils n’osent hazarder un autre langage.
C’est une route nouvelle presque inconnue à nos Anciens, et où ceux qui l’ont
suivie aussi bien que les plus habiles de nos Modernes se sont quelquefois
égarés. Ce qui peut encore les rebuter davantage, c’est qu’étant accoutumés à
forger des événements qui n’ont ni suite ni vraisemblance, à donner des grands
noms historiques aux fictions fabuleuses, et à confondre ainsi la verité
et le mensonge, ils n’osent avec raison traiter des sujets, qu’on ne peut
altérer sans un espèce de sacrilège. Ils ignorent le talent d’inventer, ou en
font un mauvais usage. Ils ne savent pas qu’il consiste à parer la vérité, non
à la defigurer ; à l’enrichir, non à la déshonorer ; et qu’enfin le secours
des Episodes doit soutenir les Sujets, et non pas les étouffer. Mais ce qui
leur paraît de plus rebutant et de plus épineux, c’est que pour donner à ces
ouvrages les ornements qu’ils demandent, il faut se remplir des grandes <pb
n="n.p."/>vérités de la Religion, et tirer de l’Ecriture sainte ces
riches expressions que nous fournit la divine Poésie du Psalmiste et des
Prophètes, et qui sont fort au-dessus de tout ce que l’ingénieuse et
savante Antiquité a de plus grand et de plus magnifique. Il faut savoir
choisir et ménager les sentiments de piété qui sont amenés par la matière,
et il ne faut en charger ces Poèmes, que lorsqu’ils sont destinés pour des
Communautés Religieuses, et des Assemblées particulières. Le théâtre doit
instruire et divertir le public, mais les instructions de piété n’y doivent
être ni fréquentes ni affectées, il faut qu’elles soient regardées comme des
sentiments qui sont attachés aux caractères des Acteurs, et qui servent à
l’action qui se passe sur la Scène.</p>
<p>Quand je propose des règles si sévères et si sublimes, je n’ai pas la
présomption de croire que je les ai entièrement remplies dans la composition de
<hi rend="i">Judith</hi>. Ce Poème quelque succès qu’il ait eu n’est qu’un essai qui ne donne tout
au plus qu’une faible idée de la perfection à laquelle des génies plus élevés
que le mien pourraient à peine parvenir. La seule chose dont il m’est permis de
m’applaudir, c’est d’avoir choisi <pb n="n.p."/>un sujet dont la beauté a
soutenu ma faiblesse. Je ne sais par quel hazard il a échappé aux yeux de ceux
qui m’ont précédé.</p>
<p>Toutes les Histoires peuvent-elles fournir rien de plus élevé et de plus
propre pour la grande Tragédie que l’Histoire de Judith ? n’y voit-on pas le
merveilleux et le pathétique dans toute sa force ? On y voit une Veuve
consacrée au Seigneur, dévouée à la cendre et au cilice, dans l’obscurité
d’une vie humiliée et pénitente, s’arracher subitement à sa retraite, se
mettre à la tête d’Israël, commander les Anciens du Peuple, et entreprendre
la défaite d’Holopherne, quelle gloire ! quelle grandeur ! quelle merveilleuse
nouveauté ! On y voit une Veuve si sage et si réservée quitter ses modestes
habits, ajouter à sa beauté naturelle tout ce que l’artifice et l’orgueil
mondain peut inventer de pompeux et de charmant pour surprendre et pour
séduire, aller au Camp des ennemis avec cet équipage, exposer sa vertu à la
brutalité d’un vainqueur barbare, l’attendrir par le langage le plus engageant,
et le plus flatteur. Où peut-on trouver une plus violente opposition
d’intérêts et de devoirs, et un plus grand contraste de <pb n="n.p."
/>sentiments et de passions ? Quel plus digne sujet peut occuper l’Auteur
tragique, s’il veut conserver la vérité de l’Histoire sans blesser la sainteté
de la matiere ?</p>
<p>Qu’il serait à souhaiter que de pareilles sujets fussent quelquefois représentés
sur la Scène Française pour édifier et divertir en même temps. La Comédie se
doit faire honneur à elle-même en faisant honneur à la Religion. Les Comédiens
ont-ils un moyen plus sûr et plus glorieux pour confondre ceux qui
s’obstinent sans cesse à décrier leur profession ? Quel attrait plus puissant
pour réconcilier avec le Théâtre ceux qui en sont les ennemis déclarés ? Comme
toute sorte de gloire appartient au siècle de <hi rend="sc">Louis le Grand</hi>,
après y avoir vu les duels et les blasphèmes abolis, l’hérésie exterminée,
l’ordre et la discipline partout rétablis, il faut qu’on y voie la piété
florissante au milieu des plaisirs, les Spectacles consacrés, le Théâtre
sanctifié. Quand je parle si avantageusement des matières saintes, je ne
prétends pas exclure les Sujets profanes, quand ils sont traités sagement, et
purgés de tout ce qui peut offenser la pudeur, et révolter le Spectateur
raisonnable.</p>
<p><pb n="n.p."/>Si j’étais d’humeur de grossir cette Préface, je pourrais faire une
dissertation de l’unité de la Scène qu’on ne trouve point dans ma Tragédie.
J’avouerai qu’à l’examiner dans toute la sévérité de la règle, la critique est
raisonnable ; mais s’il fallait s’en tenir à cette parfaite unité qu’on me
demande, on aurait à reprocher ce défaut presque à tous les Ouvrages de Théâtre.
Si Monsieur de Corneille se fût imposé cette règle, que serait devenue cette
belle Scène que Rodrigue fait avec Chimene quand il la va trouver chez elle ?
Que s’il faut justifier mon Ouvrage en particulier, il me suffit du moins pour
établir l’unité morale que ce commerce qui est entre la Ville et le Camp pour
l’exécution de ce qui se passe sur la Scène, se puisse faire vraisemblablement
dans moins de temps qu’il ne faut pour satisfaire à la règle de vingt-quatre
heures ; et d’ailleurs cette unité de Scène se doit expliquer plus
favorablement pour mon Ouvrage, puisque la proximité du Camp et de la Ville
était absolument nécessaire dans les Sièges du temps de Judith où l’on ne
pouvait battre les murailles de la Ville assiégée, qu’avec des machines.</p>
<p><pb n="n.p."/>Je ne dirai rien de l’Episode de Misaël, il a paru si naturel et
a été si heureux que ce serait me rendre indigne de l’approbation qu’il a eue,
si je voulais la justifier. Je ne répondrai point aux objections qu’on m’a
faites par un jugement précipité, qui n’a pas examiné ce qui précède, et ce
qui suit les endroits qu’on a condamnés. Je répondrai encore moins à la critique
qui est fondée sur le goût et non pas sur la règle.</p>
<p>Mais je ne saurais me taire sur l’étrange critique qui s’est répandue contre les
pièces saintes. Ce bruit est devenu un scandale public, et semble nous faire
entendre qu’il faudrait proscrire la piété et la bannir du Théâtre, comme si
nous étions encore dans ce siècle barbare et ignorant, où les spectacles
publics représentaient nos plus sacrés mystères d’une manière qui rendait
ridicule ce qui devait être le sujet de l’attention la plus sérieuse et de
la plus profonde vénération. Veut-on consacrer le Théâtre aux matières profanes,
aux événements les plus horribles, aux parricides, aux empoisonnements, aux
passions outrées, aux amours incestueuses. J’avoue que les sujets les plus
extraordinaires <pb n="n.p."/>peuvent instruire et divertir quand ils sont
maniés par des mains savantes et heureuses ; mais peut-on douter que les
matières Saintes quand elles tombent en de pareilles mains, puissent recevoir un
tour assez agréable pour plaire et mieux encore pour édifier le Spectateur
Chrétien. Nous avons un illustre exemple dans <hi rend="i">Polyeucte</hi>, et puisque <hi rend="i">Judith</hi>
dont l’Histoire est si délicate et si difficile à traiter, n’a pas déplu
dans la forme que je lui ai donnée, que ne peut-on pas attendre de ceux qui avec
une Muse plus forte que la mienne, voudront entreprendre de semblables ouvrages,
et leur donner tous les ornements de la Scène. Puissent-ils confondre l’envie,
ou plûtôt s’attirer cette critique qui s’est déchaînée sur ce qui fait tant
d’honneur à Judith.</p>
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